L’Odalisque s’est levée pour faire voir sa courbure sur deux pieds. Une main sur les hanches, et l’autre au fume-cigarette qui pourrait, regardons de plus près, se révéler être un pinceau. Alors debout, sertie d’une aura orientale, coiffée comme dans un Delacroix, le modèle nous provoque. Profile en haut, trois-quart en bas, elle nous jette sa modernité, sa puissance, et sa beauté aux yeux. Cette Peggy Guggenheim, photographiée par Man Ray en 1924 dans une robe de Paul Poiret, n’est pas qu’une photographie, c’est un bijou. Un tableau exécuté dans le hiatus de l’histoire, qui a vu la peinture et la photographie se confondre tout à fait, se mêler à la presse, à la mode, aux désirs d’une société libérée des carcans, des corsets et de toutes ses vielles idées. Cette image a la dignité des grands portraits et le charme des moments fugaces. Elle a le pouvoir de faire revivre d’un coup, sous les traits de Peggy Guggenheim, une Marie Médicis grande patronne des arts, le martyr d’une Jeanne D’Arc et l’empreinte de toutes les femmes modernes. Le « je ne sais quoi » mystérieux qui s’en dégage, c’est l’invisible, c’est l’impalpable, c’est le rêve, c’est les nerfs, c’est l’âme.
Guillaume Houzé, Directeur de l'Image et de la Communication des Galeries Lafayette et BHV Marais