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Gertrude Stein, une icône queer dès le début du XXe siècle

Lorsqu’elle arrive à Paris durant l’automne 1903, l’écrivaine américaine Gertrude Stein se définit déjà comme « queer ». Cette notion identitaire, explorée dans une partie de l’exposition qui lui est dédiée au Musée du Luxembourg, fait de l’artiste une icône et irrigue aujourd’hui les relectures de son œuvre. Explications !

Une vision fluide de l’homosexualité

Gertrude Stein affirme ouvertement son homosexualité, tant dans sa vie personnelle qu’au travers son image et ses écrits. Ce que Pablo Picasso - avec qui elle noue une complicité artistique et intellectuelle forte - commente d’ailleurs avec sympathie dans plusieurs de leurs correspondances écrites.

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Man Ray, Alice B. Toklas, Gertrude Stein, 1922
Négatif gélatino argentique sur support, 10 x 12,5 cm © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / image Centre Pompidou, MNAM-CCI © Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris 2023

Stein pose à de nombreuses reprises devant l’objectif de Carl Van Vechten, Man Ray ou encore Cecil Beaton. Parfois, sa compagne Alice B Toklas la rejoint. Ce sont des images complexes qu’elle livre d’elle-même et de son couple, qui contestent directement les typologies psychologisantes de l’homosexualité. Dans ces images, elle propose une reconfiguration des récits de l’identité lesbienne et des rapports de genre : en se rendant visible d’une part, et en affichant une allure sobre et brute pour se situer entre les deux pôles masculin et féminin d'autre part.

À travers ses écrits, Stein défend une vision plus fluide et elliptique de l’homosexualité, miroir de son existence. Dans Three Lives (Trois Vies), nouvelles écrites entre 1905 et 1906, le personnage de Hortense Sänger se manifeste en tant que son alter ego solitaire, éloignée de la sexualité et au plus près des livres. Comme Hortense, Stein se sent "active" et "passive" dans ses relations avec les femmes, dominante et dominée, homme et femme par intermittence, répondant ainsi aux ambivalences de la conscience, loin des déterminismes moraux de la psychopathologie.

Queer hier, queer aujourd’hui

Il y a selon Stein plusieurs sortes d’hommes et de femmes, ce qui vient contester les distinctions essentialistes de genre et de sexualité. Dans The Making of Americans (La Fabrication des américains) elle forge ainsi un style littéraire complexe fait de répétitions de mots et de phrases qui corrobore cette vision, en tentant de saisir l’individu dans le collectif, à partir de ses ressemblances et de ses dissemblances. Elle se définit déjà comme queer, c’est-à-dire dans cette ambivalence ne correspondant pas aux modèles dominants.

Il y a beaucoup de façons d’être queer chez beaucoup d’hommes et de femmes. Il y en a beaucoup qui n’ont rien de queer en eux, beaucoup ont en eux des choses que leur entourage trouve parfois queer mais il y en a beaucoup qui n’ont pas en eux ce côté queer qui forme vraiment un caractère en eux. Il y a beaucoup d’hommes et de femmes qui ont un côté queer en eux, et un jour il y aura une histoire de tous les types d’entre eux.

Gertrude Stein, The Making of Americans, Paris, Contact Editions, 1925

Aujourd’hui, les relectures conceptuelles et queer de l’œuvre de Stein par Andy Warhol, Felix Gonzalez-Torres, Gary Hill ou Glenn Ligon sont plus politiques et l’érigent en icône.

Image d'oeuvre
Andy Warhol Gertrude Stein, 1980, Acrylic and screenprint on canvas © Digital image Whitney Museum of American Art / Licensed by Scala © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. / Licensed by ADAGP, Paris 2023 / Ronald Feldman Gallery

Dans le portrait ci-contre, par exemple, Warhol évoque la dualité de genre de Stein en la transformant en une figure pop, à la fois icône américaine et icône queer  par l’usage des couleurs rose et bleu mais aussi grâce à un tracé particulier de son visage.

Vue de salle
Vue de l'exposition au Musée du Luxembourg
© Didier Plowy pour la Rmn – Grand Palais, 2023

Plus récemment, l’artiste conceptuel Gary Hill explore lui aussi, en écho à l’œuvre de Stein, les dynamiques complexes entretenues entre les mots et les images tout en interrogeant les questions de genre. Dans l’ensemble Engender Project (2022) visible ci-contre, le redoublement rythmique des couleurs, des lignes de l’aquarelle et de la sérigraphie ou des volumes de la sculpture permet de passer du pronom he/il à celui de she/elle, jusqu’à aboutir au pronom neutre they.

Ce glissement interroge la performativité du langage dans la construction du genre. Il met en avant la fluidité des signes et détourne ainsi la norme. Dans la poétique de Gertrude Stein, qui se détache des noms, agents fixateurs des choses du monde, le pronom joue un rôle central : il permet de mieux jouer des catégorisations et créer un nouveau rapport au réel fondé sur l’expérience.

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