L’enfance est le lieu de toutes les imaginations et de toutes les illusions, c’est l’endroit où le réel se défile, se transfigure, joue des tours et raconte des histoires. C’est probablement à force de le côtoyer pendant tant d’années que Vivian Maier a pu, elle aussi, regarder le monde avec cette aptitude propre aux enfants, comme si le visible était en soi une découverte toujours renouvelée, un jeu sans règle, où tout est possible.
Gouvernante pendant près de quarante ans, Vivian Maier a pris part à la vie des enfants dont elle s’occupait. Attentive au moindre détail qui en disait toujours long, elle a documenté ce qui en est constitutif : leurs visages, lieu de toutes les émotions, leurs expressions, leurs mimiques, leurs regards, et puis aussi leurs jeux, leurs mises en scènes, tout ce qui fait la vie d’un enfant.
Tirage argentique, 2012
© Estate of Vivian Maier, Courtesy of
Maloof Collection and Howard
Greenberg Gallery, NY
La force de la photo ci-contre d’une mère et de sa fille tient largement à ses forts contrastes : entre la taille de l’adulte et celle de l’enfant, et entre les noirs et blancs. Le point de vue en contre-plongée, fréquent chez Vivian Maier, est ici poussé à l’extrême : la photographe s’est placée très bas pour épouser la hauteur du regard d’un enfant et projeter le spectateur dans le monde si particulier de cet âge. Cet effet est accentué par le cadrage, qui découpe les corps et rend anonymes les modèles. Le lien qui unit les deux personnes est matérialisé par la petite main qui empoigne fermement la jupe de la mère. Mais cette image documente aussi, d’une
façon quasiment ethnographique, une transmission sociale : en suivant sa mère dans ses activités quotidiennes, la fillette apprend par imprégnation à se comporter (se tenir, se mouvoir, s’habiller…) comme elle.
