Par les portes de corne ou d’ivoire, comme disent les poètes, le rêve ouvre l’homme à l’autre que soi ; alors les absents, les morts et les non encore nés peuvent rencontrer les vivants ; l’ailleurs peut rejoindre l’ici ; le passé et l’avenir peuvent coïncider avec le présent et l’imaginaire s’enlacer au réel. Comment représenter une telle merveille ?
Au cours des XVe et XVIe siècles, les manières d’inscrire dans l’espace cette temporalité paradoxale, avec les « phantasmes » qui la peuplent, ont beaucoup varié selon les régions et les écoles : le monde du rêve et celui du songe peuvent être figurés côte à côte, reliés par un médiateur, ou séparés autant qu’unis par une frontière (mandorle, nuage, bulle…).
Mais dans tous les cas, à une notable exception près qui sera présentée plus loin, les artistes de la Renaissance se gardent de peindre leurs propres rêves ; ils s’inspirent de la mythologie et de l’histoire sainte, sans toujours distinguer songe et vision.
Rêveurs et visionnaires peuvent accueillir le meilleur comme le pire, le vrai comme le faux. Dans cette partie de l’exposition sont présentés des songes véridiques, c’est-à-dire inspirés par Dieu, ou des visions de l’Au-delà suggérées le plus souvent par la Bible et les vies de saints : songes de Pharaon, de sainte Catherine d’Alexandrie, de saint Augustin, de sainte Hélène – dont la vision, sous le pinceau de Véronèse, se matérialise sans cesser d’être irréelle. Quant au Greco, il se propose dans Le Songe de Philippe II d’établir une étroite connexion entre la puissance temporelle et la conquête spirituelle.