Man Ray, Le Violon d'Ingres
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Man Ray et Barbara Vinken

Encore : Man Ray et Le Violon d’Ingres
Ou : quand un joli dos peut charmer.

 

Prenons un exemple, au hasard, l’icône du surréalisme : Le Violon d’Ingres de Man Ray. La photographie d’une femme au dos ravissant, qui reprend la forme d’un violoncelle et en arbore les deux ouïes, dont le titre est : « Le Violon d’Ingres ». Ce dos généreux, « un cumulo di curve » comme le chantait Fred Buscaglione, fait davantage penser à un violoncelle qu’à un violon, bien plus petit et délicat. Le corps féminin et le corps de l’instrument constituent une image changeante : on aperçoit d’abord le violoncelle, et seulement après, le dos. Ingres était connu pour peindre les plus jolis dos du monde, ceux de ses odalisques. Il s’agit d'un jeu entre la photographie et la peinture : cette photographie reprend la vue d’une odalisque de dos peinte par Ingres, par la pose de la femme mais également par son turban « Le Violon d’Ingres » fait également référence à la passion qu’avait le peintre pour le violon. Depuis, lorsqu’une personne a une passion à laquelle elle s’adonne en dehors de sa profession, on dit qu’elle a « un violon d’Ingres » : un dada, un hobby. Tendrement, on se blottit contre l’instrument à cordes et on en joue pour faire naître des sons de sanglots, de jubilation, et des vibrations sauvages. Ainsi, le spectateur rêve lui aussi de jouer sur le dos de cette femme comme un passionné de violon, et d’en tirer les plus belles sonorités comme le ferait un corps vibrant et gémissant en plein ébat amoureux. Ce jeu entre le titre et l’image, un jeu d’amour, est d’esprit libertin. Dans la photographie d’une robe de la collection automne-hiver 1970/1971 d’Yves Saint Laurent, Jeanloup Sieff reprend l’idée de Man Ray en y ajoutant sa touche personnelle. Le dos dans le contraste du noir et blanc, le turban, la position de la tête ainsi que les détails de l'image nous font immédiatement penser au Violon d’Ingres de Man Ray par leurs similitudes. Ce dos révèle l’adorable naissance des fesses, tout comme celui de Kiki de Montparnasse dans la mise en scène de Man Ray. En revanche, il ne s’agit pas ici d’ouïes de violon qui laisseraient le son s'échapper de la caisse de résonance, mais de dentelle florale. D'une part, cette dentelle souligne la forme du dos semblable à un violon et recouvre la peau de fleurs noires maléfiques et raffinées qui, comme les ouïes, permettent à la caisse de résonance de libérer des sons joués par la dentelle et la chair. L’orientalisme de l’odalisque, incarnation de la femme érotiquement attirante, créée pour les plaisirs de l'érotisme, est illustré par la dentelle ornementale avec des arabesques. Cela nous rappelle Proust, pour qui Venise, dissimulée derrière ses flèches de pierre mauresque, devient un harem mystérieux, promesse d’une ville des mille et une nuits.

Barbara Vinken, professeur de littérature française et littérature comparée à la Ludwig-Maximilians-Universität Munich (Allemagne).

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